Ce vendredi 29 janvier 2021, les étudiants de la promotion 2021 sont partis à la découverte d’un nouveau lieu : l’hôpital Bicêtre où sont conservées les archives de l’AP-HP. Après une séance théorique qui avait eu lieu par visio en décembre dernier, place au terrain et à la pratique ! Ces cours ont été organisés par Hélène Servant, conservatrice du patrimoine et chef du département des patrimoines culturels de l’AP-HP.
La matinée s’est concentrée sur un atelier pratique permettant aux étudiants de comprendre comment ont pu être classés des fonds ainsi que la manière dont des instruments de recherche ont pu être rédigés au XXe siècle. Un retour historique afin de prendre conscience de l’évolution des pratiques et la méthodologie actuelle.
Le fonds étudié est celui de l’impôt du droit des pauvres du début du XIXe siècle à 1947. Mais quel est-il ?
Il s’agit d’un impôt sur les spectacles qui prend sa source durant l’Ancien Régime. Supprimé lors de la Révolution, la loi du 7 frimaire an V le rétablit de manière temporaire. Il est officiellement mis en place par le décret impérial du 9 décembre 1809. Ainsi, 10 % du prix des billets d’entrée est perçu au profit des plus pauvres. Sont aussi bien concernés les bals et fêtes publiques que les théâtres et cinémas. D’envergure nationale, il n’est cependant réellement appliqué qu’à Paris où le monde du spectacle est intense. Le décret du 15 novembre 1895 relatif aux secours à domicile dans la Ville de Paris fait qu’il est partagé avec l’Assistance publique (créée en 1849) et les bureaux de bienfaisance. Cet impôt représente 5 à 10 % du budget global de l’Assistance publique.
Pour comprendre pourquoi leurs archives sont aujourd’hui conservées à l’AP-HP, il faut remonter à 1855. Cette année-là, la taxe est alors perçue par l’administration et le service créé pour l’administrer ne cesse de grandir. Dans les années 1930, ce sont près de 500 personnes qui y sont employées, essentiellement des contrôleurs et percepteurs. Le secrétariat général de l’Assistance publique verse en 1961 une certaine quantité de dossiers provenant de ce service qui n’existait plus depuis quelques années. Cependant certains documents proviennent de versements plus anciens, entre 1903 et 1913. Fossoyeux, archiviste notamment en charge de la collecte, les réceptionne et les cote selon un principe de cotation continue qu’il nomme « Foss ». Ces cotes sont toujours utilisées aujourd’hui.
En 1997, Jérôme Renaud (chargé des archives historiques de l’AP-HP) publie sous la direction de Sylvain Riquier (conservateur des archives de l’AP-HP) un instrument de recherche méthodique sur ce fonds. C’est sur celui-ci que les étudiants ont travaillé, essayant de comprendre comment il avait pu être constitué et les différences avec la méthodologie actuelle. Une multitude de questions ont été soulevées, notamment sur les typologies décrites et la manière dont un tel document peut être mis en libre-accès sur internet. Afin de bien comprendre le lien entre les archives et l’instrument de recherche, quatre équipes ont été constituées selon les quatre niveaux du classement : réglementation et comptabilité ; contentieux ; personnel ; spectacles et activités taxées. Chaque étudiant avait alors une boîte d’archives à sa disposition afin de pouvoir explorer chaque pièce. Des découvertes surprenantes ont eu lieu, permettant de découvrir au plus près de la matière cet impôt trop méconnu.
Nombreuses sont les interrogations qui ont été soulevées. Pourquoi les doublons ont-il été conservés ? Pourquoi les épingles et trombones métalliques n’ont-ils pas été enlevés par prévention ? Pourquoi certains dossiers n’ont-ils pas été décrits ?
Cette prise de conscience des différentes méthodologies a ouvert les horizons de chacun. Elle permet de mieux saisir les problèmes auxquels on peut faire face lorsqu’on est lecteur (commander une boîte qui finalement ne contient pas les archives prévues) ou archiviste (ne pas retrouver des archives car mal décrites et mal rangées).
Les étudiants ont pu aussi effectuer quelques manipulations de conservation préventive. En effet, les attaches métalliques se corrodent avec le temps, attaquant par la même occasion les archives. Ces altérations sont encore plus dangereuses lorsque les archives sont conservées en zone humide ou subissent un dégât des eaux. Le papier, parfois fragile, se détériore et les informations qu’il contient sont alors menacées. Pour éviter cet écueil, il est très recommandé d’enlever tout élément métallique. Mais, les feuilles peuvent se disperser et on perd alors de l’information. Le choix de l’AP-HP est d’utiliser des trombones en plastique même si ce matériau n’est pas neutre. Lorsque les documents sont trop fragiles, le choix se porte sur une sous-chemise en papier neutre. Dans le cadre de ce cours pratique, les étudiants pouvaient enlever et remplacer (en faisant attention aussi bien aux documents qu’à leurs doigts) les épingles et trombones rouillés ainsi que certaines pochettes trop abîmées.
L’après-midi a été consacrée à des études de cas autour des archives médicales et de la défense avec Hélène Servant. Les archives médicales sont assez problématiques en raison de leur nature et contenu, notamment les dossiers de patients. Ces dossiers contiennent des informations personnelles et de ce fait, leur externalisation (soit le fait de recourir à un prestataire privé pour leur stockage) doit être très contrôlée et régie par un contrat très détaillé. De plus, le manque de place au sein des services d’archives pose la question de l’utilité concrète des dossiers médicaux ou des dossiers de personnels dont la DUA (Durée d’Utilité Administrative) peut être de plusieurs décennies. Dans un second temps, il a été question des archives de la défense. Accéder à ces archives classifiées nécessite une accréditation particulière (ou une dérogation) sous peine d’être accusé de compromission. La gestion d’archives détenant des secrets de l’État implique une organisation spécifique (niveaux de classification, possibilités de déclassification, lecture sur des appareils hors réseau, etc) et un encadrement particulier des personnels.
Ce fût donc une journée riche en découvertes archivistiques et juridiques. Explorer autant de thématiques en un seul lieu montre la pluralité de l’univers des archives. Il faut prendre soin des documents, bien les décrire afin de proposer au lecteur des instruments de recherche corrects et faire attention aux informations contenues. Les archives ne sont pas que du papier ou des fichiers sur un disque-dur, ce sont aussi des informations importantes sur des êtres humains ou l’État !
Article rédigé par Maxime Espinasse, Anne-Elise Guilbert–Tetart et Anaëlle Herrewyn.