À la découverte des archives de l’AP-HP

Ce vendredi 29 janvier 2021, les étudiants de la promotion 2021 sont partis à la découverte d’un nouveau lieu : l’hôpital Bicêtre où sont conservées les archives de l’AP-HP. Après une séance théorique qui avait eu lieu par visio en décembre dernier, place au terrain et à la pratique ! Ces cours ont été organisés par Hélène Servant, conservatrice du patrimoine et chef du département des patrimoines culturels de l’AP-HP. 

La matinée s’est concentrée sur un atelier pratique permettant aux étudiants de comprendre comment ont pu être classés des fonds ainsi que la manière dont des instruments de recherche ont pu être rédigés au XXe siècle. Un retour historique afin de prendre conscience de l’évolution des pratiques et la méthodologie actuelle. 

Le fonds étudié est celui de l’impôt du droit des pauvres du début du XIXe siècle à 1947. Mais quel est-il ? 
Il s’agit d’un impôt sur les spectacles qui prend sa source durant l’Ancien Régime. Supprimé lors de la Révolution, la loi du 7 frimaire an V le rétablit de manière temporaire. Il est officiellement mis en place par le décret impérial du 9 décembre 1809. Ainsi, 10 % du prix des billets d’entrée est perçu au profit des plus pauvres. Sont aussi bien concernés les bals et fêtes publiques que les théâtres et cinémas. D’envergure nationale, il n’est cependant réellement appliqué qu’à Paris où le monde du spectacle est intense. Le décret du 15 novembre 1895 relatif aux secours à domicile dans la Ville de Paris fait qu’il est partagé avec l’Assistance publique (créée en 1849) et les bureaux de bienfaisance. Cet impôt représente 5 à 10 % du budget global de l’Assistance publique. 

Pour comprendre pourquoi leurs archives sont aujourd’hui conservées à l’AP-HP, il faut remonter à 1855. Cette année-là, la taxe est alors perçue par l’administration et le service créé pour l’administrer ne cesse de grandir. Dans les années 1930, ce sont près de 500 personnes qui y sont employées, essentiellement des contrôleurs et percepteurs. Le secrétariat général de l’Assistance publique verse en 1961 une certaine quantité de dossiers provenant de ce service qui n’existait plus depuis quelques années. Cependant certains documents proviennent de versements plus anciens, entre 1903 et 1913. Fossoyeux, archiviste notamment en charge de la collecte, les réceptionne et les cote selon un principe de cotation continue qu’il nomme « Foss ». Ces cotes sont toujours utilisées aujourd’hui.

Archives issues d’un dossier de la boîte 769 Foss 12

En 1997, Jérôme Renaud (chargé des archives historiques de l’AP-HP) publie sous la direction de Sylvain Riquier (conservateur des archives de l’AP-HP) un instrument de recherche méthodique sur ce fonds. C’est sur celui-ci que les étudiants ont travaillé, essayant de comprendre comment il avait pu être constitué et les différences avec la méthodologie actuelle. Une multitude de questions ont été soulevées, notamment sur les typologies décrites et la manière dont un tel document peut être mis en libre-accès sur internet. Afin de bien comprendre le lien entre les archives et l’instrument de recherche, quatre équipes ont été constituées selon les quatre niveaux du classement : réglementation et comptabilité ; contentieux ; personnel ; spectacles et activités taxées. Chaque étudiant avait alors une boîte d’archives à sa disposition afin de pouvoir explorer chaque pièce. Des découvertes surprenantes ont eu lieu, permettant de découvrir au plus près de la matière cet impôt trop méconnu. 

Nombreuses sont les interrogations qui ont été soulevées. Pourquoi les doublons ont-il été conservés ? Pourquoi les épingles et trombones métalliques n’ont-ils pas été enlevés par prévention ? Pourquoi certains dossiers n’ont-ils pas été décrits ? 
Cette prise de conscience des différentes méthodologies a ouvert les horizons de chacun. Elle permet de mieux saisir les problèmes auxquels on peut faire face lorsqu’on est lecteur (commander une boîte qui finalement ne contient pas les archives prévues) ou archiviste (ne pas retrouver des archives car mal décrites et mal rangées). 

Les étudiants ont pu aussi effectuer quelques manipulations de conservation préventive. En effet, les attaches métalliques se corrodent avec le temps, attaquant par la même occasion les archives. Ces altérations sont encore plus dangereuses lorsque les archives sont conservées en zone humide ou subissent un dégât des eaux. Le papier, parfois fragile, se détériore et les informations qu’il contient sont alors menacées. Pour éviter cet écueil, il est très recommandé d’enlever tout élément métallique. Mais, les feuilles peuvent se disperser et on perd alors de l’information. Le choix de l’AP-HP est d’utiliser des trombones en plastique même si ce matériau n’est pas neutre. Lorsque les documents sont trop fragiles, le choix se porte sur une sous-chemise en papier neutre. Dans le cadre de ce cours pratique, les étudiants pouvaient enlever et remplacer (en faisant attention aussi bien aux documents qu’à leurs doigts) les épingles et trombones rouillés ainsi que certaines pochettes trop abîmées.

Marion en pleine action de changement de sous-pochette

L’après-midi a été consacrée à des études de cas autour des archives médicales et de la défense avec Hélène Servant. Les archives médicales sont assez problématiques en raison de leur nature et contenu, notamment les dossiers de patients. Ces dossiers contiennent des informations personnelles et de ce fait, leur externalisation (soit le fait de recourir à un prestataire privé pour leur stockage) doit être très contrôlée et régie par un contrat très détaillé. De plus, le manque de place au sein des services d’archives pose la question de l’utilité concrète des dossiers médicaux ou des dossiers de personnels dont la DUA (Durée d’Utilité Administrative) peut être de plusieurs décennies. Dans un second temps, il a été question des archives de la défense. Accéder à ces archives classifiées nécessite une accréditation particulière (ou une dérogation) sous peine d’être accusé de compromission. La gestion d’archives détenant des secrets de l’État implique une organisation spécifique (niveaux de classification, possibilités de déclassification, lecture sur des appareils hors réseau, etc) et un encadrement particulier des personnels.

Ce fût donc une journée riche en découvertes archivistiques et juridiques. Explorer autant de thématiques en un seul lieu montre la pluralité de l’univers des archives. Il faut prendre soin des documents, bien les décrire afin de proposer au lecteur des instruments de recherche corrects et faire attention aux informations contenues. Les archives ne sont pas que du papier ou des fichiers sur un disque-dur, ce sont aussi des informations importantes sur des êtres humains ou l’État !

Article rédigé par Maxime Espinasse, Anne-Elise Guilbert–Tetart et Anaëlle Herrewyn.

Rencontre avec Mathilde Pintault

Archives et mémoire, une problématique vaste qui pose de nombreuses questions. Le 12 mars 2021, sept professionnels donneront des éléments de réponse par le biais d’interventions sur des sujets qui leur sont chers. Aujourd’hui, nous vous dévoilons un premier portait : celui de Mathilde Pintault des Archives de Paris.

Pourriez-vous résumer votre parcours universitaire et professionnel ?
Après une hypokhâgne et une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers, je me suis dirigée vers un Master professionnel de « Valorisation des patrimoines et politiques culturelles territoriales » à l’Université de Pau. Alors que je me destinais plutôt au patrimoine bâti, je suis arrivée aux Archives de Paris en 2012, à la suite de la réussite du concours de chargé d’études documentaires. 

©️ Hugues Hodeir / Archives de Paris – cote 27Fi 25

Quels sont vos principaux thèmes de recherche en tant qu’archiviste ? 
Je suis chargée de la collecte et du classement des fonds de la justice (juridictions, protection judiciaire de la jeunesse, établissements pénitentiaires…), culture et patrimoine, jeunesse et sports, affaires militaires. 

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler ces thématiques ? 
J’ai pu choisir mon portefeuille de collecte en arrivant aux Archives de Paris, il s’agissait de domaines que je connaissais déjà bien à titre personnel ou grâce à mes travaux universitaires (notamment sur le patrimoine bâti de la justice). 

Quelles sont vos principales missions au sein des Archives de Paris ? 
Collecte : audit des services producteurs, conseil en organisation de la production documentaire, préparation de versements, formation à l’archivage des agents des services versants.  
Classement : classement de fonds, retraitement de fonds anciens, reprise d’instruments de recherche, rédaction d’instruments de recherche méthodique. 
Communication : réponse aux recherches par correspondance, présidence de salle. 


En tant qu’archiviste, quelle serait votre définition de la mémoire ? Pensez-vous que celle-ci est amenée à évoluer à l’avenir ?
Je crois que les archives sont un des terreaux de la mémoire, et que le travail de l’archiviste doit tout mettre en œuvre pour restituer des informations le plus justement et objectivement possible.  

Vous voulez en savoir plus sur la collecte des mémoriaux des attentats de novembre 2015, découvrez ici l’interview de Mathilde Pintault et Audrey Ceselli, archivistes aux Archives de Paris.

Encodage et indexation, travaux pratiques pour futurs archivistes

Retrouvailles pour la promotion 2020-2021 en ces temps de pandémie pour deux jours aux Archives départementales des Yvelines afin de suivre les cours de Nicolas Roger sur l’encodage. Une présentation suivie de deux séances de travaux pratiques qui ont permis de comprendre les bases de l’EAD. 

Après trois mois dispersés aux quatre coins de la France, l’heure des retrouvailles a sonné !

Qu’est-ce que l’EAD ? 

En quelques mots, l’EAD (Encoded Archival Description) est une norme permettant l’informatisation et la mise en ligne de descriptions d’archives, tels les instruments de recherche. Outil américain créé en 1998, sa structure est influencée par la norme de description archivistique ISAD-G. Plusieurs versions se sont succédées, celle majoritairement utilisée aujourd’hui date de 2002 et utilise un langage de balisage XML. Les balises permettent de mettre en avant certains éléments d’un texte, facilitant alors les recherches des utilisateurs. 

L’objectif de ces travaux pratiques était de nous familiariser avec le langage et commencer à appréhender la conversion d’instruments de recherche dans cette norme. Celle-ci étant nécessaire pour que les documents puissent être mis en ligne sur des sites comme FranceArchives. Il est donc fort probable que dans le cadre de nos futurs postes d’archivistes nous soyons confrontés à ces missions. C’est aussi une manière de mieux comprendre la structure d’un document de description archivistique car il n’est ici pas question de mise en forme du document, celle-ci étant gérée par des feuilles de style ou des programmes de transformation. 

L’apprentissage des balises a été une grande étape. En effet, dans le langage XML chacun peut créer les siennes, ce qui peut causer des problèmes lors des échanges de documents. Certaines ont donc été standardisées sous la forme d’une DTD (Document Type Definition) et a été créé un Dictionnaire des balises. La DTD définit la structure qui doit être respectée afin que le fichier soit bien valide et utilisable par tous. Les vérifications sont permises par un logiciel nommé Parseur XML qui est intégré à certains éditeurs XML. Nous avons donc appris à utiliser Oxygen qui en fait partie. 

L’arborescence de l’EAD

Les trois parties qui structurent un instrument de recherche en EAD sont <eadheader> , <frontmatter> et <archdesc> . Chacune a sa propre structure interne avec un ordre hiérarchique à respecter. Les appréhender a été une manière de redécouvrir la norme ISAD-G, la comprendre plus en profondeur.

L’en-tête <eadheader> est obligatoire puisqu’il donne des éléments de description sur l’instrument de recherche lui-même, et non sur les ressources décrites. Les balises <eadid> et <filedesc> structurent cet élément et en sont des maillons essentiels. La première indique le code univoque au niveau international, tandis que la seconde fournit les principales informations bibliographiques sur l’instrument de recherche, comme son titre, son auteur et ses révisions éventuelles. Le troisième composant de l’en-tête, à savoir <profiledesc>, n’est pas obligatoire puisqu’il ne donne que des informations secondaires telles que la langue de rédaction et les règles de description adoptées.

L’élément <frontmatter> concerne seulement la page de titre de l’instrument de recherche, de ce fait il n’est que très peu utilisé. A contrario on retrouve la balise <archdesc> de façon systématique puisqu’elle sert à décrire l’ensemble documentaire, c’est donc le cœur du fichier. Elle débute par deux balises <did> et <scopecontent>, qui fournissent les principales données d’identification et de présentation du fonds ou de l’ensemble documentaire : c’est le niveau de description le plus élevé. L’archiviste peut ensuite entamer la description des niveaux inférieurs dans la balise <dsc> (sous-composants) où il peut ajouter autant de niveaux qu’il le souhaite grâce aux composants <c>.

L’arborescence de l’EAD

Grâce au Dictionnaire des balises, il est plus ou moins aisé de trouver les concordances entre les éléments de description de la norme ISAD-G et les balises. Cependant, ces dernières sont très nombreuses et les « attributs » qui peuvent être associées à ces dernières permettent un degré de précision certes élevé, mais dont la pertinence n’est pas toujours évidente.

La mise en pratique

Après la théorie, la pratique ! Au menu, quatre exercices de différents niveaux.

Niveau 1 : le jeu des 7 erreurs. 
Pour cet exercice, il fallait ouvrir dans Oxygen le répertoire numérique de la sous-série 4O déjà codé mais avec des erreurs. Les étudiants étaient chargés de les repérer et de les corriger avant de pouvoir passer au niveau 2. Cet exercice permettait ainsi de bien comprendre les balises (ouvrantes et fermantes) et de se familiariser avec la structure et le langage XML.

Niveau 2 : Transposition d’un instrument de recherche sur l’Instruction publique, les sciences et arts avant 1790 (Word) en XML conforme à une DTD-EAD. 
Cette fois-ci, les étudiants commençaient sur une page blanche d‘Oxygen et il fallait coder l’introduction, la présentation du fonds ainsi que quelques sous-composants. Dans le document initial de format Word, les balises étaient indiquées afin d’aider les étudiants à se repérer. Ces derniers ne devaient pas oublier de les refermer afin que la fiche devienne valide. Cet exercice avait pour objectif de faire passer les étudiants du « petit bain » au « grand bain » sans les brusquer car les balises indiquées étaient une aide fort appréciable et leur permettaient de mieux s’approprier le langage et la structure.

Niveau 3 : Transposition d’un instrument de recherche sur le Minutier des notaires des Yvelines (XVIe-XIXe siècles) (Word) en XML conforme à une DTD-EAD. 
Le niveau 3 est plus corsé mais les étudiants tiennent bon ! L’exercice ressemblait au précédent sauf que cette fois-ci les balises n’étaient pas indiquées dans le document Word… Il fallait donc que les étudiants repèrent eux-mêmes la structure de l’encodage, les éléments à baliser, et dans quelle partie (<eadheader> ou <archdesc>) les informations devaient apparaitre. Cet exercice a permis de bien revoir les différents champs de la norme ISAD-G et de voir comment les différents éléments s’articulaient les uns avec les autres.

Niveau 4 : Transposition d’un instrument de recherche sur les Administrations provinciales (1605-1801) (Word) en XML conforme à une DTD-EAD.

Partir de cela…

L’ultime niveau ! Pour les quelques étudiants qui y sont arrivés, il fallait non seulement faire comme les deux exercices précédents, à savoir encoder l’ensemble d’un instrument de recherche, mais aussi prendre en compte de nouveaux paramètres comme les permaliens ou les indexations. L’indexation a pour but pratique de retrouver rapidement l’information : on peut donc insérer des balises d’indexation dans le corps du texte, c’est-à-dire des éléments XML supplémentaires qui permettent de caractériser des concepts comme la forme du document (<genreform>), les noms géographiques (<geoname>), les noms de personne (<persname>), les noms matières (<subject>) ou encore les noms de collectivités (<corpname>). Cependant, l’indexation peut ne pas se faire au fil du texte et dans ce cas, il faut utiliser la balise <controlacess>. Là encore, il s’agissait d’assimiler ce nouveau langage et de réfléchir aux liens entre les différents éléments. 

… pour finir là

Dans le milieu professionnel, les étudiants seront amenés à écrire des inventaires en EAD mais surtout par le biais d’une concaténation dans un fichier Excel ou d’une saisie en Open Office (voir SOSIE). Il s’agissait donc de nous préparer au mieux à notre avenir professionnel. Toute contente de se retrouver, la promotion a pu (re)découvrir les joies de l’encodage et de la description archivistique. Les différents travaux pratiques nous ont permis de consolider nos bases dans ces domaines. Ainsi, les étudiants ayant terminé les quatre niveaux ont pu écrire quelques 950 lignes de code en l’espace de quelques heures.

Article rédigé par Maxime Espinasse, Anne-Elise Guilbert-Tetart et Clémence Moreau

Graduate School Humanités – Sciences du Patrimoine : retour sur la première édition de la semaine intensive

La Graduate School Humanités – Sciences du Patrimoine de l’Université Paris-Saclay est née en septembre 2020. Elle regroupe actuellement près de 500 étudiants, 130 doctorants ainsi qu’une centaine d’enseignants-chercheurs. Du 13 au 15 janvier 2021 se déroulait une première semaine intensive divisée en deux thématiques liées à son domaine. Les étudiants avaient le choix entre ces deux programmes aussi riches de découvertes l’un que l’autre. Crise sanitaire oblige, cette semaine se déroulait en visioconférence… Sans pour autant perdre de sa qualité. Retour sur les deux programmes proposés et leurs multiples facettes. 

Le patrimoine en questions

L’intérêt de cette semaine intensive était de permettre aux étudiants de se retrouver sur une thématique précise et d’en effectuer une exploration collective mobilisant les apports de différentes disciplines : il se trouve que cette promesse a été tenue. En effet, dans le programme « Le patrimoine en questions », les intervenants ont pu mettre en lumière leurs parcours et leurs expériences personnelles et professionnelles en lien, de près ou de loin, au patrimoine, ce qui a permis d’alimenter les discussions, les débats et les interrogations de chacun autour de cette thématique. 

La semaine intensive a commencé avec la conférence de Christian Hottin intitulée « Comment le patrimoine s’est-il constitué en objet de sciences ? ». Cette intervention était très intéressante, notamment, parce que Christian Hottin est directeur des études des conservateurs à l’Institut National du Patrimoine : il connaît ainsi toutes les facettes du métier de conservateur. 

La table ronde proposée l’après-midi portait sur le thème « Le patrimoine : catégorie et expériences de la recherche ». Jean-Philippe Echard (Conservateur au Musée de Musique), Yann Potin (Archives nationales), Grégory Quénet (professeur en histoire de l’environnement) et Noé Wagener (professeur de droit) ont ainsi pu discuter de leurs rapports au patrimoine. Ils ont évoqué la tension entre le matériau patrimoine et les discours sur le patrimoine, les notions fondamentales de dénaturalisation et de dépatrimonialisation ainsi que les traces du passé à interroger.

Pour la deuxième journée, les étudiants ont pu suivre l’intervention de Pauline Helou-de la Grandière, restauratrice spécialisée dans les œuvres de Pierre Soulages. Elle a su à la fois présenter un parcours souvent méconnu et les enseignements qu’elle en a tirés ainsi que son expérience professionnelle, tout en mettant à la portée de tous les aspects parfois très techniques inévitables dans le cadre d’un travail de restauration. Sa conférence sur « Un glossmètre pour les œuvres de Pierre Soulages » montrait aussi comment elle essayait de concevoir une méthode optique pour évaluer la dégradation d’œuvres de Pierre Soulages. L’intervention de Mathieu Thoury (chercheur en physique et directeur de recherche du doctorat de Pauline Helou-de la Grandière) sur « La fonte à la cire perdue, les secrets de l’amulette de Mehrgarh » a permis de revenir sur les objets patrimoniaux et leur étude dans le cadre universitaire. 

Extrait du diaporama présenté par Mathieu Thoury

Enfin, la troisième journée portait sur la valeur du faux autour de trois études de cas présentées par Anne Rochebouet sur l’auteur dans les romans arthuriens, par Pierre Chastang sur la valeur du faux dans un dossier carolingien méridional opposant les abbayes d’Aniane et de Gellone et enfin par Christian Bessy et Cynthia Colmellere sur le faux livre de Galilée. Les intervenants ont chacun présenté leur raisonnement pas à pas, comme une enquête. Les interventions imagées se répondaient entre elles bien que les objets étudiés soient différents. C’est peut être au cours de cette demi-journée que le matériau « archives » a été le plus convoqué. 

Au delà de l’université, le chercheur et ses publics

De nombreuses conférences et tables rondes composaient ce deuxième programme de semaine intensive portée sur la thématique de la diffusion de la recherche et le rôle du chercheur, plus particulièrement dans les sciences humaines telle l’histoire. Retour sur les deux premières journées. 

Une première journée d’introduction…

Après un point inaugural permettant de mettre en avant les enjeux de ces journées, Alesia Zambon du laboratoire Dypac à l’UVSQ a pris sur la parole sur un de ses sujets de prédilection : l’image de la Grèce moderne en Occident à l’époque moderne. Certaines figures, tels Julien-David Le Roy et le comte de Choiseul-Gouffier, ont été mises en avant. Ils participent à la publication d’ouvrages dont le prix de vente n’en permet l’acquisition que par une élite aisée. Artistes et voyageurs de ces contrées vestiges d’une Antiquité rêvée sont interpellés pour réaliser des relevés topographiques, ils se mettent en scène dans leurs gravures et dessins comme pour signifier un « j’y étais ». La légitimité du discours passe par l’acte de publier mais parfois les informations sont fausses. En revenant sur cette période, on peut donc comprendre que le chercheur doit préparer son discours pour toucher un public, ici par le biais d’une publication.

Jean-Charles Geslot, du Chcsc de l’UVSQ, proposait une approche de la médiation des savoirs et de la culture historique en France à l’époque contemporaine. Un premier point abordait la question de la discipline de l’Histoire comme une science. Cette conception est récente, c’est au XIXe siècle que se composent des revues et sociétés savantes impulsant la recherche. L’agrégation d’histoire est créée en 1830 tandis que la licence d’histoire l’est en 1906. S’enclenche un processus lent permettant la codification de la méthode et de la discipline, ce qui donne aujourd’hui une belle légitimé scientifique au domaine. L’Histoire n’est pas le seul domaine universitaire qui est récent, c’est aussi le cas de la musicologie ou encore de l’étude des civilisations qui s’épanouit dans la seconde moitié du XXe siècle. La question est alors comment rendre ces matières universitaires connues et visibles du grand public ? Une première solution serait de les enseigner dès l’enseignement primaire ou secondaire, une seconde solution est de passer par le biais de la culture de masse. Cela passe notamment par la télévision, le cinéma et aujourd’hui YouTube. Le ministère de la Culture a recensé à la fin 2018 350 chaînes francophones culturelles et scientifiques. Certes, celles dédiées aux « sciences dures » sont plus nombreuses mais des noms importants se distinguent pour la culture, tel Nota Bene dont la chaîne lancée en août 2014 compte aujourd’hui plus d’un million d’abonnés. 

Une autre forme de diffusion des savoirs est le festival, autant populaire chez les spécialistes du domaine que les amateurs ou curieux. Une table ronde a alors réuni Jean-Marie Genard des Rendez-vous de l’histoire, Judith Roze de La Nuit des Idées et François Ayme du Festival International du Film d’Histoire de Pessac. Des échanges passionnants ont été menés sur la question du public touché et l’importance de celui scolaire : sensibiliser dès le plus jeune âge est une ambition commune. Cependant, ces formes doivent évoluer et se réinventer, encore plus depuis le début de la crise sanitaire. Le « online » prend son essor, tel est le cas de la Nuit des Idées dont l’édition 2021 sera essentiellement sur internet.

La première journée proposait aussi un focus sur la question du design. Comment les designers peuvent-ils aider à la vulgarisation du savoir ? Être à la fois médiateur mais aussi chercheur car pensant à de nouvelles formes ? L’intervention « Design : perspectives contemporaines pour une archéologie inversée » réalisée par Anne Lefebvre et Armand Behar de l’ENS Paris Saclay a permis d’apporter quelques éléments de réflexion sur ces multiples questions. Ce titre énigmatique reflète un rapprochement entre ces deux domaines : l’archéologie est la recherche d’un récit et d’un environnement à partir d’un objet tandis que le design est la recherche d’un objet à partir d’un récit et d’un environnement. 

… suivie d’une journée sur les formats de la transmission du savoir 

La seconde journée était tout aussi pleine de réflexion avec une première table ronde sur la question de l’Histoire sous forme de bande-dessinée avec un focus sur la collection « Histoire dessinée de la France » aux éditions La Découverte. Deux historiens ayant participé à cette collection ainsi qu’un dessinateur ont échangé sur ce moyen de vulgarisation de cette science, faisant tomber de nombreux clichés. La BD a participé à l’écriture d’un roman national dans les années 1970, de grands auteurs/dessinateurs tel Manara y ont contribué. Dans cette collection, le challenge est la rencontre entre un historien du milieu universitaire et un dessinateur. Le dialogue doit être fort pour que le propos à faire passer soit intelligible par un large public. Chacun apporte son expérience, ses idées afin de réaliser un contenu inédit et de qualité.

Publiée à l’automne 2020, elle a été commentée par ses auteurs lors de la table ronde

Cette question de la vulgarisation des savoirs était aussi présente durant l’après-midi avec un temps animé par Florian Besson du Centre Roland Mousnier de la Sorbonne Université et Catherine Kikuchi du laboratoire Dypac de l’UVSQ. La question des réseaux sociaux, de YouTube ainsi que des sites de presse et de diffusion universitaire en ligne a été abordée. Une manière d’approcher ce monde qui fait naitre de nombreuses problématiques. C’est notamment comprendre l’impact que peuvent avoir des célébrités diffusant une histoire dont les faits ne sont pas avérés et parfois contredits par les scientifiques. Deux mondes différents qui ne s’écoutent pas forcément et sont pourtant liés par un seul domaine. 

Dans cette même lignée, l’intervention phare de la journée était celle de Patrick Boucheron du Collège de France qui est revenu sur le rapport entre les historiens et la diversité des publics ainsi que les formes de vulgarisation possibles. Son propos a débuté sur la manière dont la vulgarisation de l’Histoire a pris son essor dans les années 1970 et 1980 par le biais de la télévision. Dans cette lignée, il a évoqué les projets qu’il a aussi mené pour les médias dont Arte. Cependant, il n’y a pas que les écrans et vidéos, le livre d’histoire a aussi son importance. Un temps a été consacré au succès de certains livres d’histoire qui ne sont pas forcément bons d’un point de vue scientifique. Des erreurs s’y glissent mais le public en reste friand. Des propos pertinents permettant de nourrir les étudiants et leur apprendre à avoir un regard critique tout en sensibilisant les futurs historiens présents à une diffusion du savoir et ses nombreuses problématiques. 

Cette seconde journée se terminait par une thématique peu commune qui est la valorisation l’histoire et le patrimoine d’entreprise par la modélisation 3D. Une table ronde aux propos riches qui permettait d’élargir les horizons des étudiants. Étaient présents François Daniel d’Archéovision, Xavier Granier de l’Institut d’optique de l’Université de Bordeaux ains que Nicolas Hatzfeld et Alain Michel de l’IDHES-Évry. Des procédés qui sont toujours en constante évolution et dont les résultats permettent une diffusion aisée du savoir à un public ciblé ou large. De nombreuses rencontres et discussions ont lieu entre des professionnels de différents milieux afin de concevoir un projet sur une thématique précise, permettant alors de repenser aussi bien les idées que le vocabulaire scientifique employé.

Ce sont donc deux programmes aussi riches l’un que l’autre qui ont été proposés aux étudiants de la Graduate School Humanités – Sciences du Patrimoine de l’Université Paris-Saclay. Une première édition entièrement réussie qui laisse penser que les prochaines seront, sans crise sanitaire, encore plus constructives et permettront des rencontres fructueuses entre le corps enseignant et les étudiants.

Article rédigé par Clémence Moreau et Anne-Elise Guilbert-Tetart