Depuis le début du mois d’avril, je suis en stage aux Archives de Paris, au sein du département des fonds, sous la tutelle d’Audrey Ceselli, responsable de collecte et de classement. Fortes d’un effectif de 66 agents, les Archives de Paris emploient 4 fonctionnaires d’État et 62 agents territoriaux.
Les Archives de Paris sont une particularité dans le paysage des Archives en France. Du fait du double statut de la capitale (ville et département), les Archives de la Seine puis les Archives de Paris sont à la fois des Archives municipales et départementales, qui peuvent être considérées comme le premier service territorial français d’archives. En effet, elles conservent près de 71 km linéaires de documents concernant Paris ou l’ancien département de la Seine, accueillent plus de 8000 chercheurs répartis en 17 000 séances de travail et communiquent environ 55 000 documents chaque année.
Les Archives de Paris conservent des documents presque tous inédits, souvent manuscrits. La majeure partie d’entre eux émane des administrations de la Seine, puis de Paris, et dans une moindre mesure, de personnes physiques ou morales privées. Les fonds sont conservés sur trois sites à Paris, Villemoisson-sur-Orge et Saint-Denis. En complément des sources archivistiques, les chercheurs peuvent disposer des ouvrages d’une bibliothèque spécialisée composée de 37 000 volumes et d’un millier de publications en série.
Le retraitement des fonds de l’aide sociale à l’enfance
Ma principale mission consiste à retraiter les différents fonds de l’aide sociale à l’enfance, fonds emblématiques des Archives de Paris, afin de faire un instrument de recherche méthodique comprenant l’ensemble des fonds de l’assistance aux enfants. Il a d’abord fallu identifier les différents ensembles : D1X4 à D6X4, ENFANTS ASSISTÉS et D2H-DEPOT classés entre les années 1980 et les années 2000. Je devais me concentrer avant tout sur les sous-séries D1X4, D2X4, ENFANTS ASSISTÉS et sur un versement d’archives d’enfants assistés fait par les Archives départementales des Hauts-de-Seine, ainsi que sur un vrac retrouvé en salle de tri.
Une fois les cinq ensembles identifiés, il a fallu analyser et trier les parties de fonds isolés : ce sont les deux étapes qui ont pris le plus de temps. En effet, il s’agissait de reprendre intégralement l’inventaire du D1X4 et D2X4 réalisé en 1984 en retravaillant les différentes analyses. J’ai ensuite vérifié, revu et harmonisé les analyses archivistiques des bordereaux de récolement du vrac et du versement des Archives départementales des Hauts-de-Seine pour faire des bordereaux normalisés. Ce travail a permis d’identifier les registres qui complétaient des ensembles déjà identifiés en D1X4 et D4X4 ou ceux qui, au contraire, étaient des doubles à éliminer.
Une fois l’identification et les propositions d’éliminations et de rapprochements faites, il a fallu présenter un plan de classement général des ensembles mentionnés pour faire un inventaire méthodique. Cette tâche a été complexe en raison de la volumétrie importante, du mélange des ensembles (notamment pour les ENFANTS ASSISTÉS), des descriptions parfois pièce à pièce ou encore de la complexité du fonctionnement et des attributions du service des enfants assistés.
Avant de commencer l’élaboration du plan de classement général, j’ai dû rédiger l’introduction de mon instrument de recherche. Elle comprend une importante partie sur le contexte historique et les différentes catégories d’enfants. Pour faciliter les recherches des lecteurs, j’ai fait des schémas permettant de mieux visualiser l’évolution des différentes institutions en charge des enfants assistés, celle des différentes structures d’accueil des enfants assistés ou encore le chemin suivi par les enfants, de leur dépôt à l’hospice jusqu’à leur placement en agence en province. Toujours dans l’idée de faciliter les recherches, j’ai rédigé un « état synthétique des sources permettant de suivre le parcours d’un enfant confié à l’aide sociale à l’enfance ». Pour l’introduction, j’ai dû renseigner les dates et la volumétrie des entrées des fonds lorsque j’ai pu retrouver l’information dans les registres d’entrée et les archives du service des archives. Il a également fallu s’interroger sur une cotation ou recotation éventuelle des fonds.
Cette cotation/recotation a, en effet, été une question épineuse pendant une bonne partie de mon stage. Il faut savoir que la sous-série ENFANTS ASSISTÉS, créée lors de la prise en charge des premiers versements relatifs aux enfants assistés dans les années 1970, était conçue comme une sous-série provisoire. En effet, les archives étaient destinées à intégrer d’autres sous-séries réglementaires. Les articles 1 à 257 ont bien été dispatchés entre les sous-séries D3X4-D6X4 et D2H-DEPOT, mais les articles 258 à 2980 sont restés cotés en ENFANTS ASSISTÉS : faut-il les dispatcher eux aussi ou les laisser dans cette sous-série non réglementaire ? Après discussion avec la directrice adjointe et ma tutrice, il a été décidé de garder cette sous-série en l’état et de coter tous les autres ensembles (les archives versées par les Archives départementales des Hauts-de-Seine et le vrac) en D1X4.
L’étape suivante a été l’élaboration du plan de classement général et l’intégration des articles des sous-séries D1X4 et ENFANTS ASSISTÉS dans celui-ci. Enfin, après validation, l’instrument de recherche sera mis à la disposition des lecteurs sur le site internet et en salle de lecture.
Le traitement des archives numériques des cabinets de la mandature de 2014-2016 et l’archivage électronique aux Archives de Paris
Une de mes missions secondaires est le traitement des archives numériques des cabinets de l’ancienne mandature de la Mairie de Paris entre 2014 et 2020.
La première étape du traitement consiste en un contrôle de conformité de l’en-tête du bordereau : il faut indiquer le service producteur, les dates extrêmes, faire une description sommaire et surtout mettre la volumétrie du versement s’ils n’ont pas été renseignés par le producteur. Une fois le contrôle de conformité effectué, je me suis attaquée aux versements en eux-mêmes : j’ai pu constater qu’un grand nombre des versements ressemblait à des vracs numériques et que les producteurs avaient à peine rempli les bordereaux de versement. Il a donc fallu que j’approfondisse la plupart de ces bordereaux, en essayant de mieux organiser le versement sans en changer la structure originelle. Durant cette étape, je devais noter les bons éléments, ceux qui étaient à améliorer ou encore ceux à bannir : le nommage des fichiers, l’écriture des dates, l’arborescence trop profonde, une bonne méthode de classement du courrier… et le temps passé à traiter un versement.
Toutes ces informations et l’expérience des traitements sont utilisées pour rédiger un vade-mecum destiné aux correspondants archives des services. Cet outil devra leur servir à mieux préparer les versements à l’avenir afin de faciliter ensuite la prise en charge et le traitement par les archivistes. Ce vade-mecum est accompagné de fiches conseils.
Les Archives de Paris ne disposent pas encore de système d’archivage électronique (SAE) en cours d’élaboration. En effet, il faut faire face à la croissance exponentielle de la production numérique des services versants et endiguer la perte de données. Le choix des Archives de Paris s’est porté sur VITAM, un logiciel open-source choisi après un benchmark. Cette solution devrait guider les services de la Ville de Paris vers une automatisation des entrées et des versements, tout en gérant la production numérique en amont. Pour l’instant, les archives numériques sont versées aux Archives de Paris sur un disque dur externe.
Les visites des services
Pendant ce stage, j’ai eu la chance d’accompagner ma tutrice lors de visites de conseil ou d’évaluation dans des services très diversifiés, dans le cadre du contrôle scientifique et technique (CST).
La première a eu lieu à la direction des établissements culturels et historiques (DECH) de la Ville de Paris. Cette visite a commencé par une réunion de lancement avec le nouveau prestataire de la Ville, en présence des membres du service concerné et des archivistes des Archives de Paris, pour le traitement des archives de cette direction. S’en est suivie une visite des locaux afin de déterminer le temps de travail pour le prestataire.
La deuxième visite s’est déroulée dans un pôle de contrôle des revenus/patrimoine du centre des finances publiques du XVIe arrondissement de Paris. Cette visite d’évaluation faisait suite à l’instruction de bordereaux d’élimination soumis aux Archives de Paris concernant certains dossiers, notamment les dossiers d’impôt sur les grandes fortunes (IGF) et d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Il fallait étudier l’organisation et le contenu typologique de ces dossiers afin d’en envisager un versement partiel ou non. Sachant que les dossiers sont classés par rue, puis numéro de rue, puis par contribuable, l’extraction de déclarations de certaines années marquantes était difficilement réalisable. C’est pourquoi, nous avons décidé d’effectuer un échantillonnage qualitatif en le limitant à deux rues révélatrices des profils de patrimoine du XVIe arrondissement. En effet, la conservation d’un échantillon de déclarations de certaines années n’apparaissait pas pertinente au regard du classement. De plus, ce type d’échantillonnage s’apparente plus au prélèvement de spécimens témoignant d’une forme administrative de dossiers et ne permet pas d’étudier un corpus cohérent dans le cadre d’études historiques ou sociologiques.
Pour la troisième visite, nous changeons de domaine : il s’agit d’une visite dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) d’une association dans le XVIIIe arrondissement. Nous nous sommes rendues sur place parce que les Archives de Paris avaient été saisies par le CMPP pour avoir des informations sur le sort final à réserver aux dossiers médico-sociaux des enfants suivis dans cette structure. Lors de la visite d’évaluation, nous avons tout d’abord interrogé la directrice sur l’historique et le fonctionnement de la structure ainsi que sur le type de dossiers produits. Nous avons ensuite fait une visite des locaux qui étaient saturés afin de procéder à une étude des dossiers en question. Les dossiers les plus anciens avaient été vidés de leur contenu quelques années auparavant et étaient donc très décevants. En effet, ils ne rendaient pas compte de l’activité des praticiens de la structure ni des modalités de prise en charge de l’enfant : l’intérêt historique de ces dossiers étant faible, les Archives de Paris ont préconisé l’élimination réglementaire après instruction du bordereau de versement.
Dans la lignée de la visite du CMPP, nous sommes allées dans un centre d’adaptation psycho-pédagogique (CAPP) dans le XIIe arrondissement. Là encore, après réception d’un bordereau d’élimination, certains éléments étaient encore à préciser, c’est pourquoi nous avons proposé une visite d’évaluation. Contrairement aux autres services visités, celui avait déjà mis en sac poubelle les archives indiquées sur le bordereau alors que ce dernier n’avait pas été validé. Nous avons pu également constater qu’un premier échantillonnage avait été fait dans les années 2000 sur les dossiers individuels d’enfants, mais ils n’avaient pas été vidés de leur contenu . Il était intéressant de voir les similitudes et les différences entre les archives produites par ce CAPP et celles du CMPP, producteurs de documents similaires. En plus des dossiers individuels d’enfants échantillonnés, nous avons préconisé la conservation des cahiers de synthèse (comptes-rendus de réunion d’équipe, cahiers d’entrée des enfants…) et des spécimens de tests psychologiques faits sur les enfants à leur arrivée au centre.
Enfin, nous nous sommes rendues dans une unité éducative d’activités de jour (UEAJ) dans le XIXe arrondissement. Avant d’aller dans les locaux, nous avons accueilli aux Archives de Paris la vacataire employée pour 4 mois par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) pour s’occuper des archives des 15 unités éducatives dans Paris : il s’agissait de lui présenter les archives, de lui expliquer les enjeux de sa mission et de son rôle et de la rassurer. En effet, ne venant pas du monde des archives, la jeune fille était assez impressionnée. Elle l’était d’autant plus devant la quantité de cartons amassés dans le local de l’unité éducative. Il a alors fallu que nous la tranquillisions, que nous lui expliquions les tableaux de gestion sur lesquels elle devait s’appuyer, que nous lui montrions comment ranger le local pour qu’elle s’y retrouve. Quelques semaines plus tard, sur la demande de la vacataire, nous sommes revenues l’aider à déterminer le sort final de certains documents et nous avons pu constater l’énorme travail effectué en un mois.
La présidence de la salle de lecture
Au mois de juillet, j’ai eu l’occasion d’assister à deux reprises les présidents de la salle de lecture et d’en découvrir le fonctionnement.
Le rôle des deux présidents de salle est d’orienter les lecteurs vers les instruments de recherche et les différents outils mis à leur disposition. Ils sont aussi habilités à apprécier si un document peut ou non être communiqué ou reproduit. Ils sont tenus de guider les lecteurs du mieux possible mais pas de faire les recherches ou les dépouillements à leur place.
On peut distinguer plusieurs espaces : la salle de lecture pouvant accueillir 60 personnes pour la consultation des documents originaux et des cartes et plans où les lecteurs ont accès aux instruments de recherche sous format papier et aux usuels, une autre salle où peuvent être consultées les archives numérisées et microfilmées (état civil avant 1860, répertoires et rôles du tribunal civil de la Seine, Bottin du commerce de la Seine…) et la présidence de salle de lecture où siègent les deux présidents de salle et où les documents accessibles sur dérogation sont exclusivement consultables aux places réservées à cet effet.
Lors de mes deux présidences, je me suis occupée des dossiers d’enfants assistés. En effet, comme les documents accessibles seulement sous dérogation, les dossiers individuels d’enfants assistés sont à consulter uniquement en présidence. Lorsqu’un lecteur arrive avec sa boîte, il faut lui demander le numéro matricule de l’enfant, extraire le dossier demandé après s’être assuré que le nom et le prénom de l’enfant correspondent bien à la demande et mettre un fantôme à l’emplacement du dossier. Ensuite, il faut estampiller l’ensemble des pièces du dossier. Cette démarche permet non seulement de feuilleter le dossier, de repérer les éventuels documents non communicables pour des raisons de délais de communicabilité (ceux-là devront être extraits et mis dans une pochette à part), des documents iconographiques (cartes postales) ou des objets (médaille, crucifix…) retrouvés sur les enfants au moment de l’admission des enfants à signaler et à extraire pour être conservés dans de meilleures conditions, mais aussi de montrer au lecteur la « propriété » des Archives de Paris. En effet, certains lecteurs ont tendance à penser que, parce qu’il s’agit du dossier d’un de leurs ancêtres, les archives leur appartiennent et peuvent en disposer, c’est-à-dire, les voler. C’est pourquoi, une fois ces vérifications faites, le dossier peut être consulté par le lecteur tout en étant surveillé par les présidents de salle. Il faut ensuite veiller à bien réintégrer les dossiers au bon endroit et dans la bonne boîte notamment lorsqu’il y en a plusieurs ouvertes en même temps afin de ne perdre aucun dossier.
Ce stage m’a permis d’apprécier la polyvalence du métier d’archiviste qui réalise aussi bien un travail individuel qu’un travail d’équipe. J’ai apprécié également que l’archiviste soit une sorte de caméléon qui s’adapte sans cesse aux interlocuteurs (public comme producteurs) et aux fonds qu’il traite. J’ai ainsi pu mieux percevoir le métier d’archiviste dans sa globalité, sa polyvalence et son rapport à la réalité. Il a été très enrichissant aux niveaux intellectuel et humain avec une tutrice formidable et à l’écoute et une équipe très agréable, soucieuse de me montrer tous les rouages de l’institution. Je ne peux que recommander fortement cette institution à tous les étudiants futurs archivistes !
Article écrit par Clémence Moreau
Photo de couverture : façade des Archives de Paris © Clémence Moreau